Contexte géologique récent et prospections
Les indices d’une possible présence d’hydrocarbures dans la zone maritime de Maurice sont évoqués depuis longtemps, mais ils restent à confirmer. Des géologues ont notamment émis l’hypothèse que l’île Maurice ne repose pas uniquement sur un socle volcanique jeune : depuis 2017, des études suggèrent l’existence d’un micro-continent enfoui nommé Mauritia, vestige du Gondwana, sous Maurice [lexpress.mu]. Cette découverte de croûte continentale ancienne sous l’archipel, similaire à celle des Seychelles (îles granitiques plus âgées), change la donne quant au potentiel pétrolier. En effet, la présence de croûte continentale augmente les chances de trouver des bassins sédimentaires propices à la formation de pétrole, contrairement à un simple socle basaltique océanique.
Malgré ces indices géologiques prometteurs, aucune campagne d’exploration de grande envergure n’a encore eu lieu dans la ZEE mauricienne. Les soupçons de gisements tant dans la zone conjointe Mascareignes qu’ailleurs dans la ZEE sont présents «depuis de nombreuses années», mais aucune étude sismique moderne à large échelle n’a été menée jusqu’à récemment. En 2018, la société britannique Spectrum Geo avait été approchée pour réaliser une vaste étude sismique (environ 20 000 km de relevés 2D) sur le plateau des Mascareignes – la zone de gestion conjointe (Joint Management Area, JMA) de 400 000 km² partagée avec les Seychelles [lanouvelletribune.info] . Cependant, ce projet n’a pas abouti à l’époque : un accord avait bien été signé, mais la société s’est finalement retirée pour des raisons techniques avant même de collecter les données. La baisse des prix du pétrole en 2019-2020 et la pandémie de Covid-19 ont aussi contribué à freiner ces initiatives d’exploration.
Ce n’est qu’en 2023-2024 que le dossier a réellement repris de l’ampleur. En septembre 2023, Maurice et les Seychelles ont conclu un nouvel accord pour lancer une campagne d’exploration conjointe sur le plateau des Mascareignes [lanouvelletribune.info]. Lors de la 32ᵉ réunion du comité technique de la commission mixte (août 2024), il a été décidé d’initier une étude multi-clients incluant des relevés sismiques afin d’identifier la présence, l’emplacement et l’ampleur d’éventuelles réserves dans la JMA. Des négociations étaient en cours avec une entreprise (pressentie comme étant Spectrum Geo) pour effectuer ce levé sismique de nouvelle génération. Parallèlement, dans les eaux exclusivement mauriciennes, le gouvernement a travaillé avec la société française CGG (spécialiste en géosciences) : dès février 2020, CGG avait identifié quatre sites potentiels au sein de la ZEE, sur la base de données préliminaires [lexpress.mu]. Ces quatre zones d’intérêt pourraient faire l’objet de permis d’exploration – et d’exploitation en cas de découverte – selon le gouvernement mauricien [lexpress.mu]. Il convient toutefois de souligner qu’à ce stade aucune découverte avérée n’existe : ni CGG ni d’autres études n’ont pu confirmer la présence effective de gisements, et même si du pétrole est présent, rien ne garantit qu’il y en ait en quantité commercialement exploitable [lexpress.mu].
Potentiel d’exploration et d’exploitation
Aspects technologiques
Toute éventuelle exploitation pétrolière dans la ZEE mauricienne poserait des défis technologiques majeurs. D’une part, les zones ciblées se situent pour la plupart en mer ouverte, souvent à grande distance des côtes, et par endroits en eaux très profondes. Sur le plateau des Mascareignes, certaines bancs coralliens sont peu profonds (20–100 m), mais les pentes vers l’océan Indien atteignent plusieurs milliers de mètres de fond, ce qui classerait de probables forages dans la catégorie de l’offshore ultra-profond. L’extraction pétrolière en mer très profonde est connue pour être complexe et extrêmement coûteuse, avec des contraintes techniques importantes (pression, température, etc.)defimedia.info. Aucun équipement ni infrastructure pétrolière n’existe actuellement à Maurice, il faudrait donc tout importer : navires sismiques, navires de forage spécialisés, plates-formes ou dispositifs flottants de production (FPSO), etc. Le pays ne possédant pas d’expertise locale en la matière, le recours à de grandes compagnies internationales est indispensable pour leur savoir-faire et leurs technologies de pointe [lanouvelletribune.info]. C’est d’ailleurs l’objectif affiché de la coopération Maurice–Seychelles que d’«attirer l’intérêt des grandes compagnies internationales du secteur pétrolier et gazier, disposant de l’expertise et des moyens techniques nécessaires» [lanouvelletribune.info]. Enfin, l’accessibilité logistique de ces sites éloignés exigera la mise en place de bases de soutien (ports, hélicoptères, navires de ravitaillement) et d’un réseau de communication robuste pour opérer en haute mer.
Aspects économiques
Du point de vue économique, l’exploration pétrolière dans la ZEE de Maurice représente un pari à haut risque mais potentiellement à haut rendement. Les investissements requis sont considérables : une campagne sismique multi-clients initiale est estimée à plusieurs millions de dollars, et le forage d’un premier puits exploratoire en offshore profond peut coûter de dizaines à plus de cent millions de dollars selon la profondeur et la complexité. La rentabilité potentielle dépendra donc de la taille des gisements découverts, de la facilité d’extraction et des cours mondiaux du pétrole. À ce stade, l’initiative demeure spéculative : «l’extraction en mer profonde [entraîne] un retour sur investissement incertain», rappelle la presse locale. Même en cas de découverte significative, le délai de mise en production serait de plusieurs années, le temps de confirmer les réserves, de trouver des partenaires financiers et technologiques, puis de développer les infrastructures (ce qui pourrait repousser toute retombée économique à l’horizon de la prochaine décennie).
Néanmoins, les enjeux économiques incitent le pays à explorer cette voie. Maurice importe la quasi-totalité de ses hydrocarbures pour son énergie et ses transports – une dépendance coûteuse qui pèse sur sa balance commerciale [lexpress.mu]. Découvrir du pétrole localement pourrait transformer l’économie mauricienne en améliorant la sécurité énergétique et en apportant des revenus substantiels à l’État. Si des gisements exploitables sont confirmés, on évoque des «milliards de pétrodollars» potentiels à la clédefimedia.info. Consciente de cette opportunité, l’île Maurice, autrefois tournée surtout vers le tourisme et la finance, a récemment diversifié sa stratégie économique vers l’océan. Elle s’est dotée en 2021 d’un cadre légal pour faciliter l’investissement dans l’offshore pétrolier (voir Offshore Petroleum Bill plus bas) et multiplie les partenariats, y compris avec les Seychelles dans la JMA, pour mutualiser les coûts et attirer les investisseurs étrangers [lanouvelletribune.info]. Les autorités mauriciennes estiment disposer désormais de suffisamment d’informations préliminaires et d’exemples internationaux pour tenter leur chance, qualifiant le moment de «propice» pour lancer ces appels d’offres [lexpress.mu]. Effectivement, avec la hausse récente des prix du brut et une reprise post-pandémique, l’intérêt des compagnies pétrolières pour de nouvelles explorations frontalières semble renaître. Dans le cadre de la JMA, le modèle convenu est que Maurice et les Seychelles se partageraient équitablement les revenus (50/50) tirés de toute extraction future [allafrica.com] – un atout de coopération qui peut rassurer les investisseurs quant à la stabilité du projet.
Aspects environnementaux et réglementaires
Le développement pétrolier offshore dans la région suscite d’importants enjeux environnementaux. La ZEE de Maurice et le plateau des Mascareignes abritent une biodiversité marine unique, avec notamment des écosystèmes de récifs coralliens et de bancs sous-marins (ex: Saya de Malha) riches en espèces endémiques. Toute activité sismique ou de forage doit composer avec ces écosystèmes sensibles. Les impacts potentiels incluent les perturbations acoustiques pour la faune marine (mammifères marins, poissons), le risque de pollution chronique (déchets, boues de forage) et surtout le risque accidentel de marée noire en cas de fuite ou de déversement. Un accident serait dévastateur pour les récifs coralliens, la pêche et le tourisme côtier. L’opinion publique mauricienne, déjà échaudée par l’épisode du vraquier MV Wakashio (échoué en 2020 causant une fuite d’huile lourde sur les lagons), reste très vigilante sur ces questions. Des voix critiques accusent d’ailleurs le gouvernement de foncer vers le pétrole sans avoir tiré les leçons de cette catastrophe écologique récente.
Conscientes de ces risques, les autorités imposent des gardes-fous réglementaires stricts dans le cadre de toute exploration. Avant même les relevés sismiques, une étude d’impact environnemental (EIE) sera réalisée – condition sine qua non avant d’entreprendre des activités dans cet environnement marin fragile. Le projet de loi Offshore Petroleum Bill (déposé en 2021) vise à encadrer juridiquement l’exploration et l’éventuelle exploitation pétrolière dans les eaux mauriciennes. Ce texte prévoit, entre autres, que les titulaires de permis adhèrent aux meilleures pratiques environnementales et qu’ils disposent de garanties financières en cas de dommages [lexpress.mu]. Concrètement, les exploitants devront souscrire à une assurance couvrant d’éventuels dégâts dans les zones marines, et fournir une garantie bancaire pouvant être mobilisée si l’opérateur ne parvient pas à restaurer l’environnement après un incident. Dans la zone conjointe Maurice–Seychelles, une gouvernance partagée a également été établie via un traité de 2012, avec une commission mixte chargée de veiller au développement durable du plateau des Mascareignes Cette commission impose des règles strictes et supervise chaque étape (du choix de l’opérateur à la réalisation des EIE) afin de concilier l’exploitation des ressources avec la préservation de l’écosystème marin.
Enfin, le contexte climatique international pèse dans le débat. Maurice s’est engagé à réduire ses émissions de CO₂ et à promouvoir l’économie verte, ce qui semble contradictoire avec la quête de nouveaux hydrocarbures. Des rapports, comme celui de l’Agence Internationale de l’Énergie en 2021, recommandent même l’arrêt de toute exploration pétrolière additionnelle si l’on veut atteindre les objectifs climatiques mondiaux. Les décideurs mauriciens assurent que leur démarche sera responsable et inscrite dans une transition maîtrisée, arguant que le pays restera dépendant du pétrole encore quelques années et qu’il vaut mieux en produire localement avec des normes élevées que d’en importer. Néanmoins, les ONG environnementales locales et certains experts redoutent que Maurice ne soit accusé de «greenwashing» sur la scène internationale si elle ne respecte pas ses engagements écologiques. Le défi sera donc de trouver un équilibre entre développement économique et protection de l’environnement.
Conclusion
En résumé, le potentiel pétrolier de la ZEE mauricienne reste à l’état d’hypothèse tant qu’aucun forage exploratoire n’aura confirmé la présence de réserves exploitables. Les avancées récentes – identification de sites prometteurs, coopération régionale avec les Seychelles, cadre légal naissant – témoignent d’une volonté de Maurice d’évaluer sérieusement cette ressource dormante. Le chantier est colossal et multidimensionnel : il faudra des technologies de pointe pour explorer à de grandes profondeurs, des investissements lourds pour rentabiliser l’opération, et une vigilance de tous les instants pour prévenir les risques environnementaux. Les prochaines années verront la réalisation des premières études sismiques offshore de grande ampleur dans la régiondefimedia.info. Celles-ci permettront de lever le voile sur la géologie sous-marine mauricienne et de dire enfin si le sous-sol de son immense domaine maritime renferme – ou non – «l’or noir» tant convoité. L’enjeu pour l’île, au-delà du potentiel pactole, sera d’inscrire toute découverte dans une stratégie durable, en phase avec la protection de l’océan qui constitue le cœur de son économie bleue.




